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Asli Çiçek

Publié le 27/11/2015

entrer: Gigogne + L'Escaut - "Confrontations"

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Les Ursulines
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François Lichtle

Pour reconvertir la chapelle des Ursulines à Mons en Artothèque, les architectes de l'Atelier Gigogne et de L'Escaut ont inséré un volume témoin du présent dans un passé qui est pris en compte, mais ne peut plus être modifié.

En 1952, l'architecte allemand Hans Döllgast est chargé de rénover l'Ancienne Pinacothèque de Munich. Initialement conçue par Leo von Klenze en 1836, elle a été lourdement endommagée par les bombardements de la Seconde Guerre mondiale. Döllgast s'est refusé à réparer l'édifice selon les canons de la restauration classique. Son but : mettre l'accent sur l'importance de l'histoire sans accepter le moindre compromis. Autrement dit, des pans de la façade détruits devaient rester visibles. Il les a ainsi reconstruits en briques en omettant sciemment la finition avec l'enduit ocre et les ornements d'origine. Par ce geste simple mais fort, la confrontation avec l'histoire est devenue à ce point manifeste que l'édifice demeure encore aujourd'hui un objet d'étude saisissant. Nul besoin d'explications détaillées, l'observateur saisit d'emblée que quelque chose est arrivé à l'édifice, un événement destructeur qu'il ne faut pas oublier. Si le parti-pris de Döllgast a été controversé à l'époque, il a su fédérer au fil du temps des partisans toujours plus nombreux. À l'intérieur, l'architecte a appliqué le même principe provocateur qu'à l'extérieur en conservant les murs nus où c'était nécessaire. Il a aussi redonné toute sa fonctionnalité au grand escalier qui mène du vestibule aux salles d'exposition à l'étage supérieur. Se divisant selon deux directions parallèles à la façade extérieure, cet escalier crée aussi une élévation intérieure : les visiteurs avancent alors entre les deux façades de briques avant d'entrer dans l'espace néo-classique de von Klenze.

En transformant le couvent des Ursulines en une vitrine de présentation et de conservation du patrimoine de Mons, les architectes bruxellois de l'Atelier Gigogne et de L'Escaut ne subissaient pas l'ombre écrasante de l'histoire comme ce fut le cas pour Döllgast. Bien qu'une partie du couvent ait également été bombardée pendant la Seconde Guerre mondiale, le projet de transformation confié aux architectes en 2013 ne concernait que la chapelle qui portait les stigmates de son âge. Ici, la problématique de la préservation du monument, soulevée par Döllgast il y a 60 ans, reste tout aussi pertinente. Pour le couvent, les architectes ont été bien sûr confrontés au déclin d'une vénérable bâtisse de 350 ans qui avait subi d'inévitables rénovations pour survivre. Mais en 2013, le bâtiment devait être repensé entièrement pour devenir un lieu public qui accueillerait le patrimoine municipal de Mons. Il y a eu une tendance architecturale à conserver des parties de la construction d'origine. Celle-ci s'affiche très subtilement dans les rénovations telles que celle de la Tate Britain, par Caruso St John (2010), où l'original est indemne et se ponctue de quelques éléments contemporains discrets ou dans la confrontation directe avec l'histoire, la voie choisie par David Chipperfield Architects pour le projet du Neues Museum à Berlin (2009).

L'approche des architectes pour l'Artothèque porte aussi les traces de cette tendance. Elles sont néanmoins plus visibles que pour les rénovations précitées. À Mons, l'intérieur de la chapelle accueille un nouveau volume divisé en espaces de stockage et en un étage de bureaux. Ce volume occupe un peu plus de la moitié de la longueur de la chapelle, ménageant un espace d'entrée modeste. Dans la largeur du bâtiment existant, le nouveau volume est séparé des murs est de la chapelle par ce que les architectes appellent une faille : une distance physique qui accueille toute la circulation. Étroit et droit, un escalier en béton conduit directement au premier niveau et se prolonge par une rampe pour atteindre l'escalier en colimaçon à l'arrière, trait d'union entre les niveaux supérieurs. Au rez-de-chaussée, la faille assure également la circulation horizontale, permettant une connexion visuelle avec le stockage des peintures et un accès direct à la sacristie. Celle-ci est désormais la salle d'exposition de l'Artothèque virtuelle qui affiche la face cachée de cette grande collection à l'aide d'écrans tactiles. Les architectes y ont joué les scénographes d'un espace virtuel, orchestrant, dans le mobilier simple, les objets se référant à ceux utilisés dans les laboratoires et le stockage. Les vitrines verticales sont utilisées avec parcimonie et abritent de nombreuses pièces qui sont expliquées sur les écrans tactiles et peuvent être consultées en détail. Ce mode de gestion de la collection constitue une partie importante du projet étant donné que l'espace accessible au public est limité à la sacristie à côté de la nef de la chapelle qui contient déjà le nouveau volume. Grâce à une interface simple et efficace, le visiteur peut facilement et avec plaisir découvrir toute la collection – une priorité pour les architectes qui ont su persuader le bon programmeur de créer leur scénographie virtuelle.

Contrairement à cet espace d'exposition quasi dématérialisé, le nouveau volume inséré dans le bâtiment existant en impose par sa présence matérielle. Rappelant l'élévation intérieure créée par Döllgast avec l'escalier de l'Ancienne Pinacothèque, le volume résulte en une façade dominante avec un motif rhomboïdal créé par des éléments structurels en forme de V peints en blanc qui font écho aux pilastres de la nef. L'ensemble de la construction s'incline vers le plafond de la chapelle et brille de sa propre personnalité, faisant obstinément face aux vieilles pierres de la chapelle, comme s'il en était le petit-fils. Mais cette présence architecturale n'est perceptible que si l'observateur regarde vers le haut, car la ligne de faille limite la distance permettant d'embrasser la façade du regard. Le volume rigide – un bâtiment en lui-même – semble bloqué dans l'ancienne chapelle, et crée un contraste volontaire avec son enveloppe. Les lieux illustrent cette interprétation : les éléments ajoutés sont les témoins du présent, le passé ne peut être ignoré, mais ne peut plus être modifié. À cet égard, les architectes ont adopté une attitude très rationnelle face au projet, en faisant du programme et de son accessibilité les principales questions. Au lieu de redonner son lustre d'antan à la chapelle et d'y placer un élément sans grande inspiration, les fonctions envahissent littéralement l'espace intérieur pré-existant avec ce nouveau volume. Celui-ci intègre le mur de la chapelle uniquement sur la face ouest et associe ainsi parfaitement son visage buriné au nouvel intérieur. On assiste à un dialogue très direct entre l'ancien et le nouveau, les finitions et l'infrastructure, comme le démontre l'escalier en colimaçon à l'arrière, sur le quatrième niveau, où la structure de bois grossière du toit de la chapelle est totalement exposée. Dans le même temps, cet escalier s'élève dans le nouveau volume de la même manière que l'escalier du clocher bordant leur mur mitoyen, clairement comparable à une coupe longitudinale. Alors que l'ancien bâtiment reste décelable sur les surfaces de l'ensemble de sa structure, avec les stigmates du temps, l'intérieur de la chapelle est devenu un volume d'organisation efficace. En dépit de ces confrontations, voire de ces conflits, tant sur le plan des matières que de l'attitude, la perception générale de tous les espaces est remarquablement claire. Les gestes posés par les architectes dans le cadre de ce projet permettent d'aller à la rencontre de l'histoire sans perdre de vue le présent, ou inversement, et résulte en une démarche sui generis rafraîchissante.
 
Ecrit par Asli Çiçek dans le cadre de la publication entrer: qui complète l'exposition éponyme.

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