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Equipe Intérieurs. Notes et Figures

Publié le 16/06/2014

Intérieurs. Notes et Figures

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Pavillon belge - Biennale d'Architecture de Venise 2014
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Maxime Delvaux

Introduction de la publication Intérieurs. Notes et Figures parue dans le cadre de la présentation de l'exposition du même nom au Pavillon Belge à la Biennale d'Architecture de Venise 2014.

Intérieurs

Formes de vies. L’intérieur n’a pas un caractère absolu. Espace de vie, il en pose le cadre. Il se trouve en retour affecté par ses nécessités et ses contingences, ses routines et ses événements, ses capacités et ses besoins, ses maîtrises et ses laisser-faire. Occuper une architecture, c’est nécessairement l’interpréter : ajuster, modifier, transformer, sélectionner, abandonner. La mise au jour de cette collaboration diffuse et dialogique entre l’architecte, l’habitant actuel et ceux qui l’ont précédé donne matière à réflexion pour la discipline. Concevoir des espaces habités, c’est qualifier le rapport entre un domaine laissé à l’interprétation et un domaine pensé permanent.
 
Vie des formes. Alors que les changements des conditions économiques, démographiques et écologiques ont pour effet de modifier profondément la production de logements nouveaux, le bâti existant s’adapte. Cette situation se vérifie partout où le parc immobilier hérité des siècles passés ne s’accorde plus aux besoins et modes de vie contemporains. Derrière la permanence des façades, un métabolisme intérieur génère une vie des formes corrélée à la diversité des formes de vies. La considération des intérieurs de logements renseigne sur des enjeux déterminants pour l’architecture.
 
Architecture vernaculaire. L’intérieur désigne à la fois le sujet de notre étude et le point de vue à partir duquel nous opérons. Notre hypothèse est qu’une culture architecturale vernaculaire, caractéristique des transformations auxquelles les pratiques habitantes donnent lieu, peut y être observée. Pourtant, nos intérieurs et leurs transformations sont peu documentés et échappent largement à la réflexion. Une fois livrés, les bâtiments n’ouvrent plus leur porte.
 
Territoire belge. L’étude débute le 1er septembre 2013 par une mission photographique qui va produire une base de données constituée de photographies d’intérieurs de logements. Cette enquête, menée sur l’ensemble du territoire belge, procède selon un échantillonnage établi de manière théorique à partir de paramètres géographiques, historiques et typologiques, confronté ensuite aux contraintes du terrain. La limitation principale tient à la volonté des habitants d’ouvrir leur porte. La méthode est simple : le photographe, accompagné par l’un des architectes de l’équipe, se présente, sans être annoncé, au logement choisi. Si la porte s’ouvre, et que l’habitant accepte l’enquête, le logement est photographié. En cas de refus ou d’absence de réponse, l’équipe se tourne vers un logement voisin répondant aux mêmes critères de sélection. Invités à entrer, la visite s’effectue rapidement, souvent en compagnie des habitants qui indiquent les modifications apportées au logement et en font le récit.
 
Prise de notes. La visite offre une opportunité d’observation à la fois brève et partielle. Dans un intérieur qui se donne à voir initialement comme un tout unifié et résistant sur le moment à l’analyse, la photographie découpe et emporte. Au cœur d’une réalité continue et surabondante, elle pose une perspective appuyée sur une sélection d’indices. Un même protocole de prises de vues est invariablement appliqué : un cadrage large, frontal et distancié. Les images sont archivées et indexées au regard du type d’habitat, de son année de construction, de sa localisation et de son statut d’occupation. Pour chacune d’entre elles, des observations et des commentaires sous formes textuelle et schématique sont relevés. La recherche s’appuie sur ce matériel empirique.
 
Notes
 
Rendre compte. Comment inventorier les manières dont les intérieurs sont pratiqués? Pourquoi montrer l’évidence de transformations communes et récurrentes? Comment faire exemple de modes d’organisation de l’ameublement qui n’ont rien d’exemplaire? Comment traduire des variations parfois infimes trouvant leurs lois et leurs significations dans la pratique de l’habiter? Qu’y a-t-il à apprendre sur les manières, si familières, dont les objets définissent le statut des pièces qu’ils occupent? Répondre à ces questions, c’est se confronter à l’exercice du compte-rendu obstiné et précis, à l’abri de toute tentation positiviste.
 
Manipuler. D’abord la manipulation des images. L’archive, composée des 1247 photographies réalisées au cours de 256 visites, est progressivement affinée. Le systématisme du protocole photographique, soulignant à la fois différences et similarités, a produit des images comparables, autorisant une sélection. L’organisation de l’inventaire restitué dans cet ouvrage, constitué de 208 photographies, passe par le choix de leur disposition, de leur agencement et de leur confrontation. Les montages successifs sont autant de prototypes qui laissent entrevoir des histoires possibles. Le cadrage large restitue le point focal de l’observation dans son contexte. Il est accompagné des informations factuelles qui leurs sont associées, ainsi que d’une série de textes et de dessins.
 
Formuler. Au-delà d’une collection d’images, la composition et la pratique d’un langage de l’habiter sont proposées au travers des descriptions d’intérieurs. Attentifs au systématisme prospectif de Thomas Clerc dans le récit autofictionnel de son appartement, notre objectif est d’établir des connexions à la fois rigoureuses et inventives entre le lieu, le regard et les mots. Les rapprochements, les regroupements et l’ordonnancement des images laissent alors entrevoir, derrière l’apparente homogénéité d’un paysage domestique, une pluralité de situations de communication. Rationalités habitantes et rationalités architecturales se répondent par le caractère descriptible des premières et le potentiel de description des secondes. À l’interface de la forme de vie et de la vie des formes, de la possibilité de rendre compte des pratiques et de la pratique du compte-rendu, notre recherche devient alors celle du langage qui convient. Exigence, d’abord, d’un vocabulaire : les objets demandent d’être nommés, les états de choses d’être qualifiés. L’adéquation de ce vocabulaire aux situations demande ici l’expérimentation d’un lexique débordant le jargon professionnel consacré. Nécessité, ensuite d’une grammaire et d’une syntaxe. Opérateurs fondamentaux, les ‘invariables’ permettent de coder et de généraliser par le langage les relations spatiales articulant les intérieurs, associant ou dissociant leurs éléments.
 
Esquisser. L’interprétation textuelle des photographies est prolongée par un exercice de représentation. Les dessins constituent une nouvelle étape de décontextualisation. Ils procèdent par isolement, par superposition, par sélection, par changement d’échelle, par abstraction.
 
Par trois fois le point de vue se déplace. La photographie découpe et emporte, le texte saisit et déploie, le dessin résume et généralise. Ces notes successives sont les outils d’un projet à rebours qui rencontre une réalité. Elles profilent des figures.
 
Figures
 
Mettre un terme. La figure émerge à l’intersection des photographies, des textes et des dessins. Elle saisit ce qui, dans les mouvements du paysage domestique, est inhérent au métabolisme des intérieurs. Elle nomme des formes et des configurations : à titre d’exemple, l’‘objet inaliénable’ est le devenir architecture d’objets privés de leur mobilité; le ‘foyer froid’ est le groupe d’objets au cœur du logement, souvent autour d’une cheminée, qui explicite le passage d’une économie de matières premières à celle de l’information. La figure est aussi le moyen de qualifier des attitudes et des registres d’interprétation du bâti :
l’‘approximation’ est le décalage perceptible entre l’objet résultant et le projet envisagé. La figure fait exister : « une figure est bonne si quelqu’un peux dire : comme c’est vrai ça! Je reconnais cette scène. »*
 
Voir avec des mots. Que les formes soient subies, choisies, ou involontaires, la figure se préoccupe des causes, mais elle ne met en mots que les conséquences. Elle s’inscrit dans une réalité tangible de l’architecture telle qu’elle est. La figure rassemble des familiarités trouvées dans des processus pour le reste divergents et parfois contradictoires. Établir des figures c’est voir avec des mots.
 
Guider. Isolée, aucune logique à priori ne lie les figures entre elles et ne détermine leurs contiguïtés. Figures fortes, elles contiennent en elles-mêmes toute l’étude. Figures faibles, elles l’illustrent par touches successives. Un index liste ces termes significatifs, mais aussi les informations factuelles qui ont construit l’archive. Structurant la publication, il subvertit la linéarité inhérente au livre et suggère des cheminements possibles. L’ouvrage se manipule au gré des itérations d’une lecture active.
 
Projeter. Nommer et rassembler les éléments d’une culture propre aux pratiques habitantes des espaces construits permet de déployer les dynamiques invisibles de nos architectures familières. Au-delà des mots, les figures se projettent chacune en opérateurs architecturaux. Dès lors, l’étude fait l’hypothèse de l’utilité de ces pratiques vernaculaires pour concevoir le projet architectural délesté de toute idéologie planificatrice et unificatrice. Un devenir mineur qui se formule comme un rapport au monde local et situé.
 
Commissaires : Sébastien Martinez Barat, Bernard Dubois, Sarah Levy et Judith Wielander
 
Auteurs : Benjamin Lafore, Sarah Levy et Sébastien Martinez Barat, en collaboration avec Mathieu Berger
 
Photographie : Maxime Delvaux
 
Conception graphique : Gregory Dapra et Laure Giletti
 
Exposition en collaboration avec Sophie Dars et Benjamin Lafore
 
***
 
Roland Barthes, Fragments d’un discours amoureux, Seuil, Paris, 1977 (*)

Andrea Branzi, Domestic Animals : the Neoprimitive Style, MIT Press, Cambridge, Mass., 1987

Thomas Clerc, Intérieur, L’Arbalète/Gallimard, Paris, 2013

Xavier De Maistre, Voyage autour de ma chambre, GF Flammarion, Paris, 2003

Harold Garfinkel, Studies in Ethnomethodology, Prentice Hall, Upper Saddle River, 1967

Charles Jencks,Architecture Bizarre, Academy Editions, Denoël, Londres – Paris, 1979

Bernard Rudofsky, Architecture Without Architects, Museum of Modern Art, New York, 1964

Ludwig Wittgenstein, Recherches philosophiques, Paris, Gallimard, 2005

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